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louisianecheznousautres
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12 août 2015

Ses adieux

Puis tous ses potes avaient réalisé un matin, que la semaine suivante allait être sa dernière parmi eux... Certains candides lui avaient même demandé:

" Tu reviens travailler en août, bien sur?"

"Ben non, je vais retravailler en France désormais... C'est fini-fini pour moi ici.... Mais je reviendrai vous voir, un jour, pour les vacances, je ne peux pas faire autrement, je ne pourrais pas, ne plus jamais revenir... Même si mon mari va bien brailler que le billet d'avion coûte trop cher..."

Et les voilà tous partis à se gondoler et partir dans un gros délire :

" On va faire une belle boîte-tirelire-chapeau "Found raiser" bien américaine, qu'on va faire circuler partout, et  y récolter des dollars! On se postera devant Wallmart, et puis on fera passer la boîte à ta Principale, évidemment. Elle va sûrement  beaucoup donner celle-là!" dans un grand éclat de rire général….Et comme ça, on pourra se cotiser pour que tu reviennes plus vite. On t’achètera un vol simple one-way, pour te garder ! Car on t’a retenue, gardée en otage, le plus qu’on a pu, belle dame, tu ne vas quand même pas oser t’échapper une deuxième  fois! »

Elle n’avait pas assez de mots pour dire toute sa reconnaissance. Il aurait fallu pour ca, réinventer une nouvelle langue, une langue du cœur,  une langue créée par et pour ces gens-la. Un français encore plus beau, encore plus aimant. Un français cadien tout simplement. Bon ben.... pas la peine, ça existait déjà en fait. Etaient tous si vaillants et bien farces.... comme des grands enfants qui ne vieillissent pas, jamais aigris, toujours contents…

Puis ce fut son dernier Randols, et son dernier jam au Blue Moon. Elle était toujours amusée de voir ces musiciens à casquettes et t-shirt cajun, jouant comme des fous, et se marrant sans arrêt. Grosses émotions encore, à dire au revoir, et à réaliser qu'elle ne les reverrait plus, que cette tranche de vie, en musique et en danse, était bien finie, qu’ils avaient tous eu du bon temps ensemble, avaient bien, bien laissé les bons temps rouler, n’avaient pas lâché la patate ! Tonnerre mes chiens ! Ce dernier soir, une mamy cajun lui dit : « Entre toi, qui parles français, moi qui parle cajun et lui-là qui ne parle qu'anglais, à nous trois, on représente toutes les langues d'ici... » « Ah mais non, pardon, lui dit Louisa, j'ai appris le cajun aussi... »  Et la voilà à baragouiner tout ce qu’elle put en cajun, improbable et totale improvisation, et grosse tranche de rigolade. Avec sa tronche et son accent de petite frenchie, ça devait rendre la scène encore plus inattendue. Comme si une parisienne maquillée-maniérée, chaussait des bottes en caoutchouc, pour aller traire les vaches, en prenant l'accent vosgien...  Le plus dur désormais, allait être de ne pas se rabâcher à son retour.... Eviter de saouler tout le monde avec ses histoires, ne pas gonfler son mec et leurs enfants qui n'avaient pas aimé cet univers cajun... Continuer sans se retourner.... Mais elle ne pourrait plus s'empêcher d'écouter des zydeco endiablés, ces two-step entraînants.... Sevrage, sevrage.... Fallait être sage.... La greffe avait pris, que voulez-vous...

Elle aimait tant leur bonne humeur et pensait…

Le Cajun n'a rien et laisse les bons temps rouler,

Le français à tout, et mate le temps pour mieux râler.

Extraordinaire ! Apothéose ! Son dernier weekend end parmi eux. Ses adieux et son anniversaire, de surprises en surprises. Elle n’avait jamais été autant célébrée. C'était délirant. Elle croyait aller à l'anniversaire d'une amie, alors qu’en fait ils avaient tout orchestré en secret, rien que pour elle. Invitée partout, elle croulait sous les cadeaux, allait devoir se faire envoyer un colis, ça ne rentrerait jamais dans sa valise. Du coup elle courait, pour les saluer tous, mais n'avait pas assez de temps pour voir tout le monde. C'était trop. Les invitations, les fêtes, les adieux, Elle voulait chanter une dernière fois pour ceux qu’elle aimait mais elle était éreintée, et sa voix partait en cacahuète. Elle avait déjà du mal à parler.... Et entre larmes et rires, ça dansait beaucoup. Elle joua pour la première et dernière fois de la planche à gratter sur du zydéco. Trouva ça très marrant, et beaucoup moins difficile que le Tit fer (le triangle). Oui, c’est vrai, tout le monde croit communément que jouer du triangle c'est très con. Eh bien non, les deux mains sont désynchronisées comme à la batterie. Et Louisa ne réussit jamais à en jouer ... Marrant : la planche était au zydéco ce que je triangle était à la musique cajun. Et la musique cajun, plus country et traditionnelle, était finalement bien plus variée à danser que le zydéco chaloupé et swing mais ultrabasique. Comme quoi, il ne fallait vraiment jamais s'attacher aux apparences.

Laisse les gros temps gronder. Orages, fortes pluies, ciel bas, et lourd de nuages noirs. Le temps était comme eux. Et ils n’avaient vraiment pas faim. Temps incertain. Ca sentait la fin. Dernier matin cajun. Dernière table française, dernier breakfast - patate, œufs au plat et toasts beurrés, café à volonté -. Dur à digérer. Tous se sentaient lourds. Ca ne rigolait pas ce matin-là. Une amie arriva après les autres, surprise par leur silence. Nul ne savait quoi dire. Ni envie de rire, ni de parler. Emus, mais leur pudeur les empêchait de rien montrer. Et elle ne savait plus s'il valait mieux se taire ou parler, ou si même chanter allait être pire. Elle avait apporté sa guitare. Alors, indécise, avait quand même chanté "Tous les Acadiens" de Michel Fugain, avant de partir travailler. Mais ils semblaient surpris, un peu sonnés. Chanter à sept heures du mat' aussi. Ce n’était pas commun. En tout cas, en ce qui la concernait. Les tables s'éteignaient pour elle, comme le dernier Down Town Alive, plus calme, plus désert, plus plat. Fallait passer à autre chose, cette fois. Pourtant l’un des tout derniers soirs, il y eut encore cette magie. La voix. Miroir de l'âme, chant du cœur, porte ouverte sur l'intérieur, instrument de musique par excellence, la voix qui ne triche pas. Dernier soir à Art'mosphere, soirée des auteurs. Magie de l'instant pour les amis. Toute la semaine aphone, fatiguée, elle avait craint de ne pouvoir émettre un seul son. Avait attendu le dernier moment pour les invitations, en pensant finalement ne boire qu'un verre pour son anniversaire. Mais ses vœux furent exhaussés. Voix revenue in extremis et intéressant de voir qui était venu, qui s'était excusé, qui avait totalement oublié. Une très belle douce soirée. Jamais mis autant de cœur à chanter, en ouverture, première de la soirée. Couchée à 11:30 pour se lever à 5:30. Sommeil et appétit réduits. Emotions énormes. Elle sentait que c' était le début d'une longue série. Inspirée pour écrire des blues et des Soul musique dans un pur style "So sweet Louisiana". Et le soir de son dernier Randols, dernières danses cajuns, encore des adieux, encore un départ, elle avait l'impression de ne plus en finir de partir.

Mais tous ces jours passés, elle avait vraiment été sur un nuage, comme dans un rêve, avait tellement reçu. C’est à ce moment-là qu’elle prit la décision de continuer son blog de l'autre coté de l’océan, cette fois en anglais, pour faire connaitre la France à ses amis cajuns, faire voir, avec ses yeux tout neufs de little frenchie fraichement revenue, ce qu'était la terre de leurs ancêtres, si chère à son cœur. Et comme elle leur répétait souvent : "On a les mêmes grands-grands pères, sauf que le votre a eu le courage d'embarquer, tout quitter et partir, et que le mien est sagement resté."

Louisa avait été prévenue par sa pote et collègue, venue travailler en Acadiana, un an avant elle : "La Louisiane, tu pleures quand t'arrives.... et tu pleures quand tu repars".  Ben voilà, elle n’arrêtait pas de verser des larmes pour un oui ou pour un non, et ces bons couillons-là, qui la connaissaient bien, lui avaient offert... Ca ne s’invente pas.... un mouchoir brodé!

A la toute fin de son séjour, le jour-même de l’anniversaire de Louisa, une amie cadienne pieuse et attachante, lui fit même une étrange surprise. Un beau cadeau, bien incongru pour une petite française, nourrie au bon lait de sa République Laïque… C’était le Memorial Day pour l’Amérique : à savoir, le jour marquant la mémoire de toutes les guerres du territoire. Toutes les armistices concentrées en une, pour éviter le gaspillage du labeur et respecter le cérémonial à la fois, dans un esprit toujours pratique et mercantile. Louisa avait bien travaillé tous les 1er et 8 mai et 11 novembre. Mais ce lundi de mai, les américains se reposaient. Elle vint à l’invitation, en fin d’après-midi, ne sachant vraiment pas ce qui l’attendait. Dans le patio derrière la grande maison de bois, regard vers la marre, et les prés verts scintillants, la dame la fit s’asseoir, puis s’accroupit devant elle. Elle lui parla avec son cœur, lui raconta combien son enfance fut sous le joug d’un père d’une cruauté sans pareille, et la remercia dans les larmes, pour la joie que Louisa avait donné à sa mère bien-aimée, cette chère Martine. Son hôte, sa protectrice, sa confidente. Louisa était si honorée d’être ainsi remerciée, elle qui avait le sentiment inverse de recevoir tellement plus qu’elle ne donnait. Et la dame, lui demanda humblement l’autorisation biblique et symbolique de lui laver les pieds…. Elle avait une seule et flambant-neuve bassine de métal à cet usage unique. Elle avait soigneusement préparé les linges, le savon et la crème parfumée. Et avec infiniment de tendresse, elle lui prit les pieds dans ses mains, et patiemment les massa, les soigna, les lava, puis les parfuma. Jamais Louisa n’avait reçu tant de douceur. Puis la remercia pour avoir accepté, et garda précieusement la bassine comme un trophée, avec son prénom inscrit en ce souvenir de ce Memorial Day-là, suspendue au mur de planches, dans ce patio … Louisa faisait désormais symboliquement partie de la famille…

 

Et pendant ce temps-là...

Sa Principale avait la tronche et non la bassine de Louisa en photo, sous son nez, tous les jours de mai, grâce à son calendrier scolaire dans lequel Louisa n’avait pas voulu pas être photographiée. Mais comme à chaque fois qu’elle déclinait ce qu’avait décidé l’autre, la chef se faisait un plaisir de le lui imposer par force.... Elle s'était, en fait, punie toute seule.

Lors du grand spectacle "français" de fin d'année des classes d’immersion française, la Grand Chef avait tiré une tronche de poisson pas frais tout le long. Elle avait bâclé son discours de début et de fin. On sentait qu'elle avait envie d'être ailleurs. Pourtant, les mômes étaient bons, les chants cadiens choisis : charmants. Les élèves de Louisa avaient fait marrer l'assistance avec leur danse et chant rock, leur mime et leur histoire parodiée de Cendrillon. Le bal du prince en particulier. Ses chères collègues avaient bien tenté de lui raccourcir le temps de jeu de sa classe, par une censure pour elle seule : " Tu comprends, le total des scènes de chacun est beaucoup trop long, donc faut que tu enlèves ton chant rock! " Ben voyons... et les autres ne retiraient rien... Elle ne céda pas, ne retira que deux couplets. En répétition, pendant le passage de ses élèves, les autres gamins du public claquaient des mains et dansaient... Ses délicieuses collègues en étaient vertes.

Et puis son éternelle night mare, de collègue américaine était allée geindre à la direction, parce que Louisa était arrivée à l'heure normale pour la relève en fin de cours d’anglais. Alors que l’autre avait décidé de raccourcir son cours de vingt minutes. (Louisa n’en savait fichtre rien!) et puis, pourquoi elle s'octroyait ce droit?....Mais Louisa était fautive....  Elle était en retard. Alors pour punition, le lendemain, la hiérarchie raccourcit le temps de travail de la faillotte et allongea le sien. Compensation validée par la direction. En sens inverse, cette année, elle avait bien tenté de demander des RTT : on lui avait rétorqué que c'était scandaleux de faire ça. Conclusion, aujourd'hui : Louisa faillit l'étrangler, puis aller au bureau réclamer justice, puis enfin, médita et comprit qu’elle aurait encore et toujours tord, et qu’elle serait punie pour insubordination pour avoir ouvert sa gueule. Alors elle la ferma, allongea sans maudire et sans mot dire, la récréation de ses élèves, et compta à rebours les jours restants. Pas la peine de se battre pour si peu. Pas même pour le panache...

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