Journée fécale pour soirée géniale

USS

Ici tu te tais,

Et dans ton mutisme,

Tu te hais.

Tu obéis à des ordres stupides,

Tu trimes.

Dans bien des contrées, souvent la femme bosse

(les femmes aux fourneaux, les hommes au bistrot)

L’homme parle, sous l’arbre à palabres.

Parfois il pense… avec son organe génital. (allez ok j'exagère, ils sont pas tous comme ça...mais quand même)

Mais ici personne ne parle devant (mais beaucoup par derrière), et tout le monde bosse :

40 heures de congés payés annuels…. Oui,  5 petits jours/an…. Quand nous… nous  frôlons les 7 à 8 semaines avec les RTT et jours fériés…(et je ne parle pas des profs en France).  Et même, ici, nul n’ose imaginer prendre ses 5 petits jours…. Au cas où, on se casserait une jambe, il faut garder des jours d’avance, pour ne pas être payé à 65%, en cas d’absence médicale… Ou encore, au cas où madame tombe enceinte, il faut prévoir des jours de congés maternité… Il est bien, hein, le pays des libertés ?

Dans ce monde du travail

Violent, cruel, partial,

On te demande tout le temps : beaucoup,

Et en un temps imparti et ultra-compressé…

Qui t’oblige à bâcler,

Faire beaucoup trop vite et au dernier moment :

Ce qui est irréalisable.

Tu es prévenu toujours trop tard,

Comme si on voulait t’empêcher de t’organiser,

De faire à ta convenance,

D’anticiper et réfléchir,

On teste ton seuil de tolérance au stress,

Ta docilité face à l’ordre péremptoire.

Tu ne dois pas te préparer, tu ne dois pas penser.

Pris de cours, tu es fragilisé, et ne peux que subir.

Tu n’as pas le temps de rassembler tes arguments,

Pas le temps, de préparer ta défense.

De toute façon, tu n’aurais même pas été écouté :

Tu ne dois jamais négocier,

Jamais t’expliquer,

Jamais te justifier,

Tu dois seulement dire « Amen ».

L’instant présent prime en tout.

Le zapping.

La pensée court-termiste.

Une société bidon qui crève de sa course effrénée…. On court toujours tout le temps, après les scores, les palmes, les prix, les congratulations…

C’est la fin de l’année, ne restent que trois jours de classe…. Dans le stress… Et je me réveille à nouveau la nuit, tendue, tourmentée par des rêves débiles où j’ai raté un jour de travail, me suis trompée….

Nouvelle journée fécale.

On nous inflige une course folle de remplissage de dossiers.

On favorise certains gamins : Ciné et pop corn pour ceux qui ont réussi les scores de lecture toute l'année, pendant que les autres, regardent derrière la vitre de la bibli, envieux, jaloux, déçus… Et vous ramez comme une dingue et à contre courant, pour remotiver les troupes….

Donc discipline à donf' : faut tenir les élèves qui n’ont rien gagné, faut continuer de bosser… Puisqu’on continue, les uns après les autres, à n’importe quelle heure, sans aucune annonce préliminaire… à  être inspectés…. Jusqu’à la dernière minute… faut continuer de faire son cahier journal et ses plans de leçon en ligne, même pour les trois derniers jours de l’année…. Et pastèque sur le donut : aucun supérieur ne veut vous répondre à la question ultra-bête : « Devra-t’on déménager de salle cette année ? » Vous le saurez le dernier jour, pas avant. Ranger ou pas ranger? Faire des cartons ou non? Rien. Silence radio, vous ne devez pas savoir. Et subir, avec le sourire. Quel plaisir.  Management à la con. Bosser à la chaîne serait du pareil au même. Moralité : on vous fout les jetons, on laisse courir des rumeurs sur votre vie privée, puis vous recevez des textos-interrogatoires de la direction (véridique : c'est arrivé à une collègue) pour savoir si les rumeurs disent vrai… Nul salarié ne pose de question professionnelle, de peur de se faire refiler du boulot en plus. Profil bas toujours, raser les murs, hypocrisie. Pas vu pas pris.

Mes petits sont bien cools, ils continuent de bosser leur grammaire et leur conjugaison française, leurs maths… Ils acceptent même d'anticiper les multiplications, divisions et  fractions ...pour l'an prochain.

Faut dire que pour les élèves non plus : c’est pas tout rose : le gamin qui rate les tests de fin d’année, est condamné au "Summer Programm"… c'est-à-dire que la moitié de ses vacances estivales se passent à l’école, à rattraper son niveau et repasser les tests…. Ca motive, hein?

Bon heureusement après une grosse journée éprouvante où même vos partenaires de boulot et de galère d’hier, vous déçoivent et vous lâchent quand pour une fois, c’est vous qui auriez besoin d’eux. Pas grave : complètement blindée à la longue : philanthrope à 20 ans, misanthrope à 40…

Sur ce, je me barre et me retrouve à une grande fête des voisins et plats énormes d’écrevisses … épis de maïs et patate chaude…. Sous le ciel et les arbres. Que des tablées fabuleuses : tout mon condonium d’apparts pourrait chanter « it’s a Small,  Small world, gnagnagnagna » : car à ma table, il y a : une allemande, des Honduriens ne parlant qu’espagnol, un vietnamien de New York, des américains travaillant dans le pétrole off shore dans le golf du Mexique, des français, une dominicaine, des Philippins… Un bébé de quatre mois hondurien, sur mes genoux, tout cool, même pas peur. Ce fut un vrai Gombo social comme j’aime !!! Bref, la soirée, est passée trop vite, à baragouiner du franco-germano-anglo-espagnol, un vrai big bazar comme j’aime. Mais à 21 heures  : mes  deux neurones chauffaient bien…J’étais épuisée, de jongler d’une langue à l’autre. Mon mec, lui, finalement parlait en gestes et en mimiques à l’amie allemande qui tentait, elle, un français approximatif… On s’est dit qu’il fallait vraiment tous se retrouver pour la coupe du monde de foot (enfin soccer) devant un seul écran… Dommage : le 15 juin : pour le match France-Honduras, on sera absent… Ca promettait de belles parties de rigolades… C’est pourtant vrai que la Louisiane est une terre d’accueil, à la croisée des chemins… On me l'avait bien dit... J'ai une profonde tendresse pour ces belles personnes et ces improbables rencontres. Laissons donc les bons temps rouler.